Biahmu et les gigantesques piédestaux pyramidaux |
Il ne me fut pas du tout facile de retrouver le chemin de ce site extraordinaire semblant être oublié de tous. Non pas celui de l’agglomération de Biahmu à 7km au nord de la capitale de l’immense oasis de Fayum: « Medinet el Fayum » l’ancienne Arsinoé, Crocodilopolis, mais du site aux fameux piédestaux lui-même.
En effet il ne se trouve pas au bord d’une route actuelle, il faut marcher dans l’épaisse et riante végétation à travers des champs ombragés et enjamber de nombreuses rigoles d’irrigation pour y arriver.
Pourtant ce site revêt une importance capitale dans mes recherches sur les systèmes hydrauliques et d’irrigation de toute la déclivité de Fayum, d’ailleurs dans mes conférences à l’étranger je ne cesse de souligner l’importance de l’extraordinaire savoir faire des pharaons de la douzième dynastie (1991-1783 Avant JC) dans l’aménagement colossal de l’hydrologie du territoire égyptien.
Je pense aussi que ce furent là de gros travaux de restauration d’un réseau certainement encore bien plus ancien. Je soupçonnais depuis longtemps aussi que les théories concernant la dépression de Fayum, de Linant de Bellefonds (1799-1883) le fameux Ingénieur en chef français du canal de Suez et Ministre des travaux publics de Mohamed Aly régnant sur l’Egypte d’alors, étaient parfaitement fondées. |
 |
Fayum - Biahmu |
 |
 |
Piedestal Est qui avait une forme de pyramide |
Vue du ciel des 2 structures de Biahmu, on voit les enclos en haut c'était les eaux du lac |
 |
En effet Linant, bien que fort discuté par d’autres, prônait qu’il y avait eût deux lacs à Fayum: celui que l’on connaît aujourd’hui et qui était bien plus étendu dans le passé et un autre au sud de Biahmu jusqu’à Hawara et qui aurait été artificiel (lac Moeris), prouvant une fois de plus l’existence de travaux gigantesques des pharaons pour le bien être des populations en canalisant ainsi utilement pour la pêche et l’irrigation le trop plein des inondations saisonnières du Nil. Or en 1988 des recherches menées sur le barrage entre Itsa et Shidmuh, par le Leichtweiss Institute pour la Recherche de l’eau de l’Universitée Technique de Braunschweg prouva, même si ce n’est pas un fait très connu, que ce lac artificiel avait bien existé en tout cas trois siècles avant JC.
Cela devrait faire taire les polémiques au sujet de l’existence ou pas d’un deuxième lac, celui-ci artificiel à Fayum. C’est alors qu’il devint vital pour moi d’aller sur le site de Biahmu car les structures existantes devaient être d’une grande importance si elles se trouvaient jadis au centre de la bordure Nord du 2ème lac. Et je ne fus pas déçue car pour moi aujourd’hui après y avoir été des heures plusieurs fois je n’hésite pas à dire qu’il s’agit bien là des « deux pyramides entourées d’eau surmontées de statues assises colossales » vues par Hérodote de loin en bateau pendant une inondation et étant décrites par lui comme en plein lac. |
Linant de Bellefonds |
Au départ tout ce que l’on sait c’est qu’il y a deux structures de blocs de pierres, des piedestaux à l’apparence de pyramides ruinées que les fellahs de la région nomment: « Korsi Faraun » c’est à dire: « La chaise de pharaon » et aussi: « El Aaly » : « les places élevées, hautes » qui étaient en fait les bases de deux statues colossales d’Amenemhat III (1807-1798 Avant JC) qui fut un très grand constructeur et restaurateur pendant son long règne.
Dès 1672 le Père dominicain Johann Michael Vanslebof d’Erfurt au service de notre Colbert avait vu la partie inférieure d’une des statues et Lepsius et Petrie en avaient retrouvé plusieurs fragments. Petrie estima leur hauteur, d’origine à 12m mais cela ferait 18 m avec les piedestaux.
Tous virent que leurs bases furent dans le passé baignées par les eaux du lac. |  | Amenemhat III |
 |
On voit mieux la forme en pyramide des bases des statues (Dessin Lepsius) |
Les statues sur leurs piédestaux en forme de pyramides apparaissaient au dessus des eaux superbement quand les eaux du lac n’étaient pas asséchées comme maintenant, et encore plus quand toute la déclivité ou presque de Fayum était inondée par la crue. Cette vue magnifique sortant des eaux est alors conforme à la description d’Hérodote décrivant deux pyramides immergées par les eaux chacune portant une statue assise sur un trône à son sommet. Comme l’expliquait déjà Flinders Petrie, mais personne ne l’écoutait alors, le fait qu’Hérodote ait cru qu’il s’agissait de deux pyramides a moitié submergées est sans doute dû au fait que visitant la déclivité de Fayum pendant l’inondation il n’aurait vu les deux statues sur leurs bases pyramidales que de loin c’est à dire depuis Arsinoé aujourd’hui Medinet el Fayum et non depuis le site de Biahmu ce qui me paraît tout à fait raisonnable.
Marchant dans la campagne et enjambant maints petits canaux je vis rapidement à 1km de moi la première structure, elle était étrange et impressionnante, le sol était jonché de hautes herbes et de grands blocs de pierres. Petrie nous dit que les deux structures regardaient dans la même direction, vers le lac Fayum, et qu’elles sont à 66m l’une de l’autre. Je constatais également que l’ancien chemin menant du lac Fayum à Arsinoé passe entre elles. |
 |
 |
Canal serpentant près de Biamhu |
On a ajouté des colonnes de briques pour soutenir les pierres restantes |
Les deux colosses sont ainsi placés de façon à regarder toute approche venant du lac vers la province. Flinders Petrie avait constaté que chaque piédestal avait des pierres de façade lisse et terminées ce qui lui faisait penser que ces piédestaux n’avaient pas été plus large, mais à force de revenir à Biahmu et de regarder méticuleusement je m’aperçus que ce n’était pas le cas pour toutes les pierres, que beaucoup avaient été déplacées et remises un peu n’importe comment et que des blocs de pierres bien finis gisaient un peu partout sur le terrain. Il n’y a pas de doute à penser que les chasseurs de trésors avaient fouillé le moindre recoin de ses piédestaux et beaucoup de gens, surtout à l’époque de l’invasion turque où on avait entrepris de grands travaux à Fayum, s’étaient servis des blocs pour d’autres constructions. De plus après bon nombre de recherches je trouvais un ancien dessin prouvant que les piédestaux avaient bien avant une forme pyramidale et qu’ils étaient bien plus larges.
Si vous voulez avoir une idée de ce à quoi pouvait bien ressembler l’ensemble il y a le dessin repris dans l’Encyclopédie de l’architecture en Ancienne Egypte de Dieter Arnold, cependant de ce que j’ai vu sur le terrain les piédestaux sont plus élevés, les enceintes devaient être beaucoup plus grandes.
Flinders nous dit que les murs des larges enceintes entourant chaque piédestal étaient collés au dos des bases des statues sans laisser d’espace et qu’il n’y a pas de signes de fondation plus au sud. Je n’en suis pas certaine en tout cas pour la statue Ouest. Il me semble en effet trouver l’emplacement au sol de plusieurs petites structures en rang comme d’anciens espaces de stockage. |
 |
 |
Piedestal Est |
Beaucoup de blocs massifs |
Flinders Petrie avait trouvé dans une des cours le dessus d’un mur d’enceinte arrondie et pensait que c’était copié de la 5ème dynastie lorsque celle-ci construisait ainsi ses bords de cours de mastabas, ce qui me fait penser que ces deux structures avaient peut être bien été là avant Amenemhat III, n’oublions pas que celui-ci avait été un grand restaurateur des systèmes hydrauliques, canaux de dérivations, barrages etc de toute la zone de Fayum.
Petrie trouva 47 fragments des statues (dont le nez de la statue ouest et des draperies au Ashmolean muséum d’Oxford ) monolithes en grès quartzeux polies jusqu’à briller comme du verre, prouvant qu’il s’agissait bien de statues assises sur des trônes. Il trouva aussi des fragments de décorations sur les façades des trônes représentant des figurations du Nil, des fleurs et des plantes, un morceau de faucon et une fausse porte du nom du Ka et des figures représentant les 42 nomes, portant des offrandes. |
 |
 |
On voit des quais de pierres |
Pans de l'enceinte écroulée |
Il y a aussi au Nord Est de la cour Est des fragments de granit rouge indiquant l’ancienne présence d’une porte. Ces fragments comportent des reliefs en panneaux (« reliefs en palais ») correspondant à une décoration de l’Ancien Empire et une inscription d’Amenemhat III. Ce qui est très important pour moi c’est que cette inscription mentionne: « ses travaux de restauration » donc il est fort possible que nous avons là deux structures restaurées magnifiquement par Amenemhat III mais édifiées bien avant lui.
Le sol comporte des dalles magnifiques de calcaire claire sous des pavements plus foncés, on voit encore des marches très larges descendant vers et devant les piédestaux, surtout devant celui de l’Ouest. Je pensais au grand Linant qui avait trouvé qu’une digue formait un angle juste à Biahmu ce qui fait que les deux colosses reposeraient sans doute dessus, regardant le lac juste devant eux et je m’inclinais devant son génie car au Nord je vis un alignement de larges blocs ayant l’air de bien correspondre à des quais.
Etre accueilli jadis par ses immenses statues brillantes en venant par bateaux depuis le lac Fayum devaient être extraordinaire. S’il y a un site à excaver c’est bien celui-ci car il réserve certainement des découvertes.
Textes et photos: Antoine Gigal
|
Bibliographie:
- Hérodotes, Histoire II 149
- W.M Flinders Petrie: Hawara, Biahmu, and Arsinoé(Londres 1889)
- L.Habach, The monuments of Biahmu, in :ASAE 40 (1941) 721-739
- A.EGGEBRECHT: Biahmu: Helck, La 1782-783
|
|